prix jeune audiberti anthony fayard gengis khan

Prix Jeune Audiberti à Anthony Fayard pour Gengis Khan

©YesICannes.com

prix jeune audiberti anthony fayard gengis khanEn parallèle au Prix Jacques Audiberti, décerné à l’écrivain Jean-Paul Kauffmann pour « L’Accident », Le 6e Prix Jeune Audiberti récompense Anthony Fayard pour « Gengis Khan« .

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Étienne de Montety & Anthony Fayard ©YesICannes.com

Le 6e Prix Jeune Audiberti récompense Anthony Fayard pour Gengis Khan. La récompense a été remise dans la matinée du 17 octobre 2025 au Lycée Audiberti à Antibes. En parallèle, la cérémonie du Prix Jacques Audiberti, remis à Jean-Paul Kauffmann pour L’Accident, s’est déroulée en soirée dans le superbe Auditorium du Conservatoire de Musique et d’Art Dramatique d’Antibes Juan-les-Pins.

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Anthony Fayard ©YesICannes.com

Écrivez musclé !

Pour participer au concours, les 40 candidats sélectionnés doivent être âgés de moins de 26 ans et rédiger un texte bref, original et inédit sur le thème Écrivez musclé, écrivez avec vos poings! ainsi que le conseillait Jacques Audiberti au jeune Claude Nougaro. Le style doit impérativement s’inscrire dans la lignée des écrits incisifs de Jacques Audiberti. Ensuite, un jury composé des membres de l’Association des amis de Jacques Audiberti a la lourde tâche de choisir parmi les nombreux textes reçus celui qui recueillera tous les suffrages. Le lauréat couronné du Prix Jeune Audiberti est récompensé d’un chèque de 500 €. D’autre part, le texte primé est publié sur le site et dans Les Cahiers Jacques Audiberti.

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Anthony Fayard & Simone Torres Forêt-Dodelin ©YesICannes.com

Gengis Khan

Alors – oui, alors – il leva la tête. L’homme. Et tout le talas du monde lui rentra par les narines ; le cheval, isabelle et maigre comme une lance, tourna vers lui un œil d’ambre où vibrait, dans une perle de lait, la caresse sûre de Kök Tengri ; Et il riait. Riait, le cheval, avec son chanfrein nerveux qui plissottait comme une rivière au premier matin ; et l’homme, la main passée dans la crinière, sentit que la steppe entière avait du pouls.

Il chevaucha, court, sec, saccadé – puis plus vite. Oh ! Sous les jarrets, l’herbe courte parlait sa langue d’aiguilles, et les marmottes, ces femmes de terre, sifflaient une chanson de foyers. Il allait droit, comme une flèche sans bois, vers l’ovoo : tas de pierres, peaux bleues, lanières d’azur qui battent l’air – ça vous le rappelle, oui, ça vous le montre, le ciel éternel qui regarde et ne cligne pas.

Le vent, fils de la grande échine, se prit aux Caraqa de cuir, remplit les oreilles, tira dans la poitrine. Ah ! Ce tir ! Alors il descendit ; il fit le tour trois fois, à pas de loup. Une poignée de laiteux airag, quelques poils de queue tirés du cheval, un murmure à Tengri le Très-Haut, un clin d’œil à Etügen Eke, la Terre-Mère, si basse et si sûre : « Tiens-moi. » Il n’avait pas de nom. On savait seulement ceci : que le loup bleu avait planté sa dent dans l’ombre, que la biche fauve avait mis au monde, sous Burkhan Khaldun, un enfant qui n’a pas froid. Lui, il allait. Heure après heure, il mangeait la distance.

À la gauche trottait un nökör, vieux frère de selle, qui ne parlait pas ; à la droite un autre, plus jeune, la tresse encore lustrée d’huile, qui sifflait bas, pour la chance. Derrière, par paquets, l’arban suivait, puis le jaghun qu’on devinait, puis le mingghan qu’on sentait, puis le tümen dont la poussière avait sa propre lune. Et, au milieu de ce grand murmure de métal et de cuir, la paix ferme de deux bannières : la tsagaan sülde, blanche comme un duvet de poulain, et la khara sülde, sous laquelle le rire se tait.

Il repassait par les eaux d’Onon, qu’il connaît comme sa langue ; la rivière portait des reflets d’acier dévissé et des pierres avec des barbes. Sur la hauteur, une udgan battait le tambour – son bras décrivait dans l’air une ligne de faucon. On disait : plus bas que les racines, Erleg Khan a faim de braises. On disait : plus haut que les nuages, les ancêtres demandent un cheval bai au galop éternel.

L’homme levait la main et les deux mondes, de haut et de bas, s’arrêtaient pour l’écouter. Et puis, ça grouillait, l’ordu, dans la vaste cuvette : des forgerons ouralois qui frappaient le fer comme on chasse un démon hors d’un clou ; des tanneurs aux ongles noirs ; des enfants qui apprenaient la corde à neuf doigts ; une khatun qui passait, l’œil en avant, ceinture serrée ; un vieux nestorien au signe secret ; un ouïghour à la plume fine qui tirait d’une peau blanche, avec ses pattes d’oiseau, le tamga du maître ; et, autour, des pennons de chiens jaunes qui savaient lire le vent, mieux que nous. À midi, l’airag était léger ; le soir, il vous montait au rêve, tout en douceur lactée ; la nuit, on gardait, on chantait. Entre deux couplets, pourtant, on comptait les arcs, on huilait les cordes, on vérifiait les harnachements – et l’on répétait les gestes pour les Tatars, pour les Merkit, pour les Naiman, et pour les autres.

Il allait. Les collines venaient lui donner leur dos, l’une, puis l’autre. Quand c’était la guerre, la khara sülde descendait des poteaux ; dans la laine noire dormaient des cheveux pris autrefois dans la tempête ; ils se réveillaient en grinçant doucement. Alors, les cavaliers, baghatur de plume ou de pierre, serraient les genoux : chevaux ras comme des couteaux, arcs qui chantent, doigts sûrs ; le monde en face se fendait par le milieu, et l’on passait. Ceux qui tentaient de fuir sous les fourrés virent les feux de poursuite courir plus vite qu’eux.

Des villes apparurent, avec leurs murs de farine sèche et leurs horloges figées. Les marchands de soie comptaient sans lever les yeux ; les scribes au front luisant faisaient des petits pas sur leurs tablettes. « Y a des portes, disait le plus jeune nökör, qui ne savent plus être portes. » Alors on leur apprenait, aux portes, à se souvenir qu’elles s’ouvrent. On n’aimait pas gaspiller ; on aimait ranger.

Les tamgas, sur le bois, se posaient comme des abeilles ; le tribut fuyait des salles sombres et arrivait à la lumière : feutres fins, boucles d’or, fer bon, blé sec, filles aux yeux de lac, garçons à menton de silex, artisans avec des mains de mule. Et tout ce monde prenait place, sans mélange ni confusion, parce qu’un souffle invisible, celui du Ciel Bleu, passait et comptait.

Aux bords du fleuve Jaune, les machines – longues épaules de bois venues du pays des lettrés et du pays des oasiens – balançaient leur graine de pierre ; des pots d’huile noire faisaient des signatures sur les toits ; Zhongdu craqua, ses tours froissées. Plus loin, à l’ouest, un sultan fit couper les têtes des nôtres à Otrar : on répondit par le feu, par la poussière, par les marches sans ombre. Boukhara entendit une voix sur ses dalles, Samarcande mâcha ses portails, Urgench se débattit dans le sang. Il arriva, un soir, au sommet d’une terre qui respirait large.

En haut, les étoiles, toutes, s’alignaient comme un sage troupeau. Il mit pied à terre. Le cheval posa la tête contre lui – oui, comme ça, avec sa chaleur de pain. Les nökörs avaient dégrafé leurs courroies ; il resta seul. Les esprits approchèrent au pas de velours. Tengri, sans couleur ni contour, fit un cercle dans son regard ; Etügen, de son ventre de montagne, leva un caillou, doucement. Le loup passa, fin comme un stylet, sans bruit ; il fit un tour autour de l’homme, posa sa queue sur ses pieds, leva l’œil, puis s’effaça.

Il ne pensa à rien, c’est-à-dire à tout. À la poussière qui se tient pour demain ; au lait que donne la jument, juste ce qu’il faut ; aux rivières, Onon, Kerülen, qui tournent au fond du cœur ; aux morts qui se lèvent quand on les nomme très bas ; aux vivants qu’il faudra faire tenir ensemble comme un long fagot ; aux langues qui se frottent et se prêtent des mots ; à l’ordre qui doit rester souple comme un tendon ; aux batailles qui, vues d’en haut, ne sont que des tâches migrantes. Alors il rit.

Il rit. Il sentit que la steppe, vaste comme un dos de taureau, était sa table et sa nappe ; que le ciel, noir-bleu, était son toit. Il pensa aux frères de maison qui grondent – l’aîné aux terres lointaines, le rude au verbe raide, le tout jeune aux yeux d’alcool – et, dessus, l’élection calme d’un troisième pour porter la tente centrale : pas de place pour deux soleils. On disait qu’un jour un bol de charme avait été bu pour sauver un trône ; on disait aussi que la neige, l’hiver, garde mémoire des serments mieux que les hommes.

Au matin, il remit le pied. Le cheval prit le mors. On replia les feutres, on éteignit les foyers. La tsagaan sülde se leva, lame blanche à la lumière ; la khara resta lourde, pour plus tard. L’ovoo reçut encore trois tours d’haleine. Et ils partirent, l’homme et les autres, par le chemin qui n’est que la volonté qu’on pose sur la terre : droit devant, jusqu’à ce que le monde consente. Et le monde consent, quand le Ciel dit oui.

www.prixjeuneaudiberti.com

Prix Jeune Audiberti à Anthony Fayard pour Gengis Khan was last modified: novembre 1st, 2025 by tamel

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