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Le Prix Jeune Audiberti 2022 Consacre L’Empêchée de Lola Arrouasse

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Bernard Fournier, Lola Arrouasse, Marie-Louise Audiberti ©YesICannes.com

Après le Prix Jacques Audiberti, décerné à l’écrivaine Paule Constand, le 3ème Prix Jeune Audiberti récompense l’autrice et poète Lola Arrouasse pour son texte musclé écrit avec les poings, « L’Empêchée ».

Le Prix Jeune Audiberti a été remis le 18 novembre 2022 à la jeune étudiante de 25 ans, Lola Arrouasse, à la Médiathèque Albert Camus d’Antibes Juan-les-Pins. Ce prix créé par l’association des amis de Jacques Audiberti, la ville d’Antibes et les Éditions Gallimard en 2020, accompagne depuis trois ans le prestigieux Prix Littéraire Jacques Audiberti.

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Paule Constant & Lola Arrouasse ©YesICannes.com

Le Prix Jeune Audiberti

Pour participer au concours, les 40 candidats sélectionnés doivent être âgés de moins de 26 ans et rédiger un texte bref, original et inédit sur le thème Écrivez musclé, écrivez avec vos poings, ainsi que le conseillait Jacques Audiberti au jeune Claude Nougaro. Le style doit impérativement s’inscrire dans la lignée des écrits incisifs de Jacques Audiberti. Ensuite, un jury composé des membres de l’association des amis de Jacques Audiberti a la lourde tâche de choisir, parmi les nombreux textes reçus, celui qui lui semblera le meilleur. Le lauréat couronné du Prix Jeune Audiberti est récompensé d’un chèque de 500 €. D’autre part, le texte primé est publié sur le site et dans Les Cahiers Jacques Audiberti.

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Le jury du Prix Jeune Audiberti ©YesICannes.com

Un texte à couper le souffle

Du haut de ses 25 ans, la lauréate du Prix jeune Audiberti a un caractère bien trempé. Avec L’Empêchée, la jeune poétesse nous décrit une cavalière blessée sur son cheval. A la lecture de quelques extraits du texte par Bernard Fournier, ses vers frappés d’images libres et fortement charpentés, ses images insolites comme « mes pieds de porc-épic, mes poings de coccinelles » ou » courant sur les cailloux, courant sur les crottins, courant sur les serpents », le président de l’association organisatrice ne peut s’empêcher de s’exclamer: « Il y a du rythme, des répétitions, des allitérations, des métaphores! » Et de continuer: « Pieds tournés en dedans, dents tournées en dehors, son ventre tirait ce corps qui n’était plus le sien mais celui de la faim et elle faisait sauter ses seins et elle faisait voler ses tresses et les serpents sortaient de dessous les pierres pour la voir serpenter dans l’air. »

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Des mots qui jaillissent, qui frappent !

Plus que la faim sans doute, la vie elle-même doit vivre. « Inquiète, excitée, excessive, agitée, fuyante, assombrie, comme elle était vivante dans ses torpeurs, ses frénésies, ses appétits, ses évanouissements successifs, égoïste et secrète dans ses plaisirs, ses richesses et ses dispositions… » Bref on l’aura compris, Lola Arrouasse a toute les qualités d’une future grande écrivaine. Dans L’Empêchée, les mots jaillissent, les descriptions frappent comme si le concours avait été taillé pour elle. « C’est cette tension qui m’intéresse, et c’est celle qu’ont ressent auprès de mon personnage qui est l’empêchée. Je ne sais pas d’où ça vient. »

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Passionnée de littérature

Lola Arrouasse, lauréate du Prix Jeune Audiberti est une parisienne passionnée de littérature. Après avoir obtenue une licence en Pratique et esthétique du cinéma à Paris 1 Panthéon Sorbonne et un Master de Recherche en cinéma, esthétique et création, elle poursuit des études dans le domaine littéraire. Elle intègre directement en troisième année la Licence de Lettres parcours Lettres et Arts de l’Université Paris Cité (anciennement Paris Diderot) tout en suivant les cours de deuxième année pour valider cette équivalence. Ces années passées dans des résidences de lecture, plus l’étude des écritures et des œuvres plastiques, l’ont amenée à se passionner pour l’écriture, celle qui part de l’intérieur mais qui peut aussi venir de très loin.

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Bernard Fournier & Lola Arrouasse ©YesICannes.com

Un concours taillé sur mesure

Lola Arrouasse: « Dans le cadre de toutes ces formations, j’ai eu le sentiment que l’écriture me portait, notamment grâce à un cours de critique d’exposition. Il nous était proposé d’écrire des critiques très libres et subjectives autour d’expositions d’art contemporain que nous visitions. J’ai saisi cette occasion pour écrire des poèmes à partir de ces visites et ainsi ne plus avoir à séparer le travail universitaire de l’écriture poétique. La poésie apparaissait comme seul moyen de dire mon rapport aux œuvres : la manière dont elles entraient dans mon monde et dont j’entrais dans le leur. Seule la poésie permettait l’expression de cette porosité. Ainsi les œuvres devenaient des appuis, des déclencheurs de mon écriture. Cette expérience a été déterminante et m’a ensuite permis, l’été venu, d’obtenir une résidence d’écriture autour de l’exposition collective d’un tiers lieu culturel et associatif à Alençon en Normandie. Cette résidence a donné lieu à une restitution publique dans le cadre du week-end d’ouverture du Festival de Poésie d’Alençon en octobre 2021. »

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Bernard Fournier, Lola Arrouasse, Marie-Louise Audiberti ©YesICannes.com

Une année 2022 riche et intense

La jeune carrière littéraire de Lola Arrouasse est déjà parsemée de lauriers. Certains de ses poèmes ont déjà été publiés dans le numéro 4 de la revue de création littéraire Point de Chute mais également lus à l’antenne de Radio Panik par Anna Ayanoglou dans l’émission “Et la poésie, alors ?” Ils ont également fait l’objet d’une lecture publique lors des Nuits de la lecture au Centre Pompidou, suite à un atelier d’écriture avec Sophie Coiffier. Elle est ensuite invitée par Chloé Delaume à lire un poème à sa « Petite Veillée » mensuelle du 20 mars 2022, aux côtés notamment de Laure Gauthier et Wendy Delorme.

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Remise du Prix Jeune Audiberti ©YesICannes.com

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Bernard Fournier & Lola Arrouasse ©YesICannes.com

Lauréate du Prix international de poésie Matiah Eckhard

La même année, “La tristesse est prospère” est sélectionné par la librairie Le Genre Urbain pour y être affiché aux côtés de cinq poèmes d’autres jeunes auteurs à Paris (Belleville). Le poème “Ma nuit” est publié dans le recueil « Murmures sous le Pont des Consuls 2022″ et le poème « Le goût du sol » dans le fanzine Le Krachoir, un collectif composé d’anciens étudiants du Master de création littéraire de l‘université Paris 8. Lola Arrouasse est la lauréate 2022 de la Mention Spéciale Université du Prix international de poésie Matiah Eckhard. Ce prix lui a valu d’être sélectionnée et affichée par la librairie Le Genre Urbain à Paris. Pour couronner le tout et finir l’année 2022, Lola Arrouasse reçoit le Prix Jeune Audiberti pour L’Empêchée. « Je n’en suis qu’au début mais c’est un tel encouragement ! » déclare-t-elle.

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L’Empêchée

Alerte, alerte !
Elle fait corps avec la nuit, elle fait peau neuve avec la nuit !
Alerte !
Oh lala.
Jeune morte sur son cheval blanc tournant de l’œil, des mouches volaient près des oreilles de sa monture, près des yeux doux de sa monture. Inconsciente, elle vomissait de la bile et les mouches délaissaient son cheval et venaient se poser en peloton sur son visage, se lavant les ailes dans le blanc de ses yeux, se frottant les pattes sur sa conjonctive rouge, s’agglutinant sur les coulées de régurgitations… mais elle n’en avait que faire, elle n’en avait que faire ! Que les mouches viennent même s’accoupler au fond de son nez en tulipe !
Qu’elles viennent donc visiter sa bouche ouverte ! Elle avait pour elle son rire d’argent, sa race de chienne et les démangeaisons d’une jeune rivière remuant sous la peau.
Courant sur les cailloux, courant sur les crottins, courant sur les serpents, tantôt main à la bouche, tantôt à la culotte, mangeant les mûres à sa portée et, dans sa course effrénée, crevant le soir par le milieu avec ses bottes dilatées de chaleur, elle ordonnait “couche-toi là” à ceux sur son passage, et les déguenillés conciliants de se coucher et de feindre la déréliction tandis qu’elle enjambait triomphalement les corps, formant avec ses jambes des “V” de “victoire” inversés dont elle seule se réjouissait puisqu’elle seule les remarquait.
Musicale mangeuse au ventre saillant, elle traçait sa route volant dans les marchés des caisses de raisin noir et dans les caves des confitures épaisses. Goinfre droguée ne prenant pas l’aumône, ni non plus d’hommes ni de bêtes, elle se suffisait à elle-même ; elle avait ce bonheur et elle portait cette croix comme une couronne de poux distinguée.
Chevauchant sa vieille carne, elle ne transportait que des fruits et une paille fraîche pour s’y vautrer tranquillement entre deux larcins. Elle aimait se fondre sur une paille encore verte et disparaître jusqu’à ce que sa faim se rappelle à elle, alors d’un bond, elle se ragaillardissait et reprenait sa croisade de danse affamée. Pieds tournés en dedans, dents tournées en dehors, son ventre tirait ce corps qui n’était plus le sien mais celui de la faim et elle faisait sauter ses seins et elle faisait voler ses tresses et les serpents sortaient de dessous les pierres pour la voir serpenter dans l’air. Salutations salutations aux serpents sortant de dessous les pierres…
À ceux qui s’approchaient trop près, elle soufflait :
Noli me tangere
J’ai marché pieds nus
nue comme une musaraigne
j’ai régné sur un monde
qui grondait sous mes pieds
mes pieds de porc épic
mes poings de coccinelle
poinçonner les abeilles
avec de la cire chaude
avec de la cire froide
et la pente quand elle est roide
j’ai volé ma couronne
couru comme un cadavre
sautillant sur les clous
et les toitures des cathédrales
on m’a prêté des lèvres noires
une langue bleu de méthylène
un visage un peu flou souvent —
on se rapproche pour voir
ma bouche mes yeux pas nets
mon front aussi est fou
derrière ma frange nouvelle
noli me tangere
roulée dans ma robe noire pestilentielle
Inquiète, excitée, excessive, agitée, fuyante, assombrie : comme elle était vivante dans ses torpeurs, ses frénésies, ses appétits, ses évanouissements successifs ! Comme elle était égoïste et secrète dans ses plaisirs, ses richesses et ses dispositions ! Comme elle crânait en marchant à l’aveugle au bord de la falaise ! Mordant les doigts et les orteils, mordant à perdre l’âme chaque nuque tendre, chaque lèvre intacte, elle n’avait pas de fin, saleté vivante, elle n’avait pas de fin qu’on lui connaisse et elle n’en laissait pas le doute.
À un vieillard qui jetait des regards insistants sur sa dentition à trous, elle avait craché dans son oreille bouchée :
Parce que je suis un animal qui ronge les poutres la nuit
je n’ai presque plus de dents
j’ai des échardes dans les gencives
je dors le jour
la nuit je ronge mon frein
et je réveille la maisonnée et le village et la ville d’à côté
et la campagne bruisse
du beau bruit de mes dents sur le bois humide
je suis catégorique
je m’emploie à détruire
toutes les fondations qui périclitent
j’ai la bouche pleine de bois quand je souris
je suis une machine qui broie
le bois flotté le bois vert et le bois moisi
j’en extrais une matière
qui me remplit le ventre d’eau
qui me remplit les yeux d’images
qui me libère le corps et par le bas
je menace le plafond
Contre le cuir de sa selle raidi par les orages, ses petites mains s’agitaient, énergiques, infatigables, passant et repassant un chiffon imbibé de lait, et c’est avec succès que le cuir se détendait et retrouvait sa souplesse. Alors son sourire carnassier arrosait la nuit d’un jet de lumière crue et les animaux nocturnes se percutaient de peur. Son rire emplissait les cavités des arbres et les hiboux fonçaient dans la gueule des renards étourdis. Reprenant sa chevauchée, elle allait, tantôt évanouie, tantôt ravivée, sombrant et remontant sur sa selle tel un bouchon de liège mille fois noyé, mille fois ressuscité. Elle tendait et repliait ses jambes endolories et pestait contre ses chevilles foulées et pestait contre ses genoux en vrac, pestait pieds enflés et pestait dos bloqué et criait saleté ! Saleté ! Saleté !
Saleté de corps ! Poussif, rebattu, haletant, buté, peureux, crevé ! Tombant et ne tombant pas tout à fait… Et après !
Elle chantait pour elle-même :
Cavaler devant
Cavaler derrière
Se garder pour la nuit
Que ma mort soit belle Que seize garçons aux
colliers de poissons me bercent
La nuit je trempe ma main
dans une eau de lumière
et je tourne autour de la
poignée d’une porte ouverte
J’allume les lampadaires avec
ma langue de caméléon vert
Des grillons de sang crient vers la mer
La rouille ruine mes robes blanches
Pour être aimée j’accepte
que tous mes meubles soient carrés
Étant travaillée par la faim
Et sans quoi je ne parlerai pas
Étant travaillée par la mort
Et sans quoi je ne répondrai pas
Étant sans cesse inquiétée et sans cesse relaxée
J’étais malade de vouloir vivre
J’écumais de rage et d’envie
Chargée d’illusions, la volonté l’habitait comme une pierre lourde et grise tombée en-deçà du ventre et stagnant bas puisqu’ayant trouvé logis dans cet appendice arrondi, on la croyait épanouie ; méprise terrible qui lui fendait le crâne et la plaquait à terre et lui forait le cœur !
Elle redoublait d’efforts et, réclamant l’infini, elle mordait, tailladait, retournait le monde, défigurait les images, poignardait les poignards et humiliait la pitié. Son cri ne demandait qu’à éclater, débordant et nocif. Et tout à coup grimaçante, elle prenait au hasard de la rue le visage d’un enfant entre ses mains et chuchotait ses dernières volontés : Coupez en deux ce visage qui est le mien ! Coupez-le ! Il le faut ! Comprenez, bon sang, comprenez ! Il est faux ! Dans mon visage loge ce mensonge qui est le mien et c’est malgré moi si mon visage est un mensonge ! C’est en dépit de moi, au mépris de tout si mon visage me trahit, me rompt et m’enserre ! Le mensonge me précède ! Un lézard sur la joue me sépare de la vérité ! Le faisceau lumineux des phares m’ampute de ma raison, me crie de me cacher ! S’il-vous-plaît coupez en deux ce mensonge qui est le mien car c’est avec une noix ouverte qu’on ouvre une autre noix !
Souvent les témoins de ses scandales se détournaient mais secrètement auraient aimé lécher la pluie coulant sur son visage, aimé la nudité de sa figure, aimé la farine de ses joues, chéri les roses de sa bouche, chéri les stries marquées de son cou, chéri sa veine du front battant comme un million d’insectes. Puisqu’elle est ce visage se reposant dans une guerre, son visage vivant sa vie de peau molle sur ses joues de colère et d’amour, son sang dans ses joues refluant sans cesse et sans cesse jouant avec elle, faisant et défaisant l’orage de sa figure, elle criait : J’ai ri de mon visage ! Maintenant, couvrez cette plaie ! Couvrez ma blessure si vous vous dites humains !
Et quand elle sentait venir son pied dans le fond de son œil et que son genou remontait dans son oreille lui percer le tympan et lui siphonner l’ouïe, elle se penchait sur son cheval et lui parlait bas : Je suis un festival de vie qui rampe sur les tombes, je suis le foie de la folie et je suis un esprit de la rivière qui va, vogue, vit et suit sa petite promenade, j’ai une fleur derrière l’oreille et je mange du blé cuit.
Alerte, alerte !
Elle hoquetait et frissonnait en tapant du plat de la main le dos de son animal. Un malheureux qui passait par là entendit ses derniers mots : Mon esprit est dans ma main et je suis cette main qui va au devant d’elle-même. ©Lola Arouasse

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Bernard Fournier, Marie-Louise Audiberti, Jean Leonetti, Lola Arrouasse, Paule Constant, Didier Van Cauwelaert ©YesICannes.com

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Jury et lauréates du Grand Prix Jacques Audiberti ©YesICannes.com

www.prixjeuneaudiberti.com

Le Prix Jeune Audiberti 2022 Consacre L’Empêchée de Lola Arrouasse was last modified: novembre 23rd, 2022 by tamel

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